Sémantique sous influence

jeudi 30 janvier 2025

La sémantique sur les réseaux sociaux semble être un indicateur fiable de l’idéologie radicale de ce media. La notion de « suivre » quelqu’un, en est à cet égard un bon exemple. Elle recèle fanatisation de la doctrine et sectarisation de la méthode de connaissance : chacun devient un gourou en puissance, dans un système pyramidale ultra hiérarchisé. Ici plus qu’ailleurs, la volonté de soumission des autres à notre autorité (que l’on nommera « influence ») masque guère notre propre soumission à ceux ou ce que nous considérons comme « plus forts » que nous - et ce, quoi que nous mettions derrière le mot « fort ».

Tout le subterfuge consiste d’ailleurs pour un influenceur à faire croire à son fan club que l’information qu’il lui adresse peut constituer une connaissance capable d’offrir à chacun de ses membres un avantage concurrentiel sur ses congénères. Il s’assure ainsi de sa domination à leur encontre. Notons qu’il est très rare qu’une fois fédérée en communauté par le truchement évanescent de sentiments exacerbés, cette communauté ne soit pas enjointe à agir.
Voilà donc la méthode : elle flatte l’orgueil et prétend guérir par là où elle contamine.
Le paradoxe de cette situation réside dans le fait que, nonobstant le soutien institutionnel dont l’autoproclamé monarque aura besoin pour s’alimenter en contenus (et en revenus), notre influenceur devra voir (pour réaliser l’aspect perlocutoire de son assertion) une masse d’individus significative faire allégeance, par abonnement. Ce sont donc bien ses membres, individuellement, qui réalisent son voeux de toute puissance communicative. En d’autres termes, l’influenceur, pour influencer ses adeptes, fait appel à une condition d’autorité que ces derniers lui confèrent en acceptant son influence au prétexte même de cette condition. Comment après cela être surpris par le caractère particulièrement incantatoire de son discours !

Dans ce système, le savoir sera travesti, la vérité contestée, voire relativisée ou post-classée, et jamais ne sera remis en cause ni une forme de verticalité de la connaissance (quand elle est sollicitée ; ce qui reste l’exception), ni l’aspect concurrentiel de nos interactions humaines - au mieux, « les derniers seront les premiers », mais de « plus, ni dernier ni premier » il ne sera jamais question.
Ce sont pourtant des prérequis à l’adhésion aux sirènes technico-numériques dont il nous semblerait utile et aisé de nous libérer (bien plus que de notre propension à la servitude volontaire, exacerbée par le caractère addictif de l’organisation même des usages numériques).

Mais cela conduirait sans doute à ce que nous abandonnions tous ces médias ; ou du moins que nous arrêtions d’aller y puiser des prescriptions pour le monde réel, que nous cessions de substituer le soliloque de nos posts aux interactions riches et variées du monde physique.
Car il est peu probable que les geôliers nous donnent les clés de la prison.

— 
Par Marx TEIRRIET

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